LA « B.X. »

de Patrice SALZENSTEIN, décembre 1994

 

 

joué la première fois à la Grange de la Ferme Dupire le 15 décembre 1994

par Jean-Cécile HEADLEY dans le rôle de LA ROUTIERE et Patrice SALZENSTEIN dans celui du RIVERAIN

 

 

SCENE I

 

            Un bonhomme est allongé dans son lit. Il dort. Une bonne femme se ramène. Elle sonne à sa porte. On entend "Ding Dong..." une bonne dizaine de fois. Pendant ce temps, le type émerge de son sommeil, se lève, s'habille. Finalement, après avoir trouvé ses clefs, il ouvre la porte...

 

La routière:

Ben alors! Ça fait dix minutes que j'sonne à toutes les portes. Vous êtes bouché ou quoi!

 

Le riverain:

Ni boucher, ni charcutier. Commis voyageur, à l'occasion.

 

La routière:

J'ai sonné à toutes les portes de vot'putain d'rue d'Marseille. Y'a personne qui répond.

 

Le riverain:

Ma voisine a quatre vingt douze ans, elle est impotente et sourde comme un pot, pas de pot!

 

La routière:

J'm'en fous d'tout ça. J'ai pas qu'ça à faire!

 

Le riverain:

Moi non plus, et d'ailleurs, je dormais, je vous ferais remarquer qu'il n'est quand même que huit heures du matin. Les autres de la rue, ils sont peut-être bien parti au turbin, mais moi, je voulais faire la grasse matinée. Je vous ferais remarquer en plus que je ne vous entends pas bien, j'ai pas encore mis mes lunnettes...

 

La routière:

Bon écoute mecton, j'ai pas qu'ça à faire, alors tu vas la bouger ta B.X., parce qu'elle me fait chier. Toutes les voitures sont garées du même côté de la rue, sauf ta putain d'B.X.!

 

Le riverain:

D'abord je n'ai pas de voiture. Ensuite, je ne vois pas le rapport avec la choucroute.

 

La routière:

Moi Monsieur, je ne fais pas la grasse matinée. Je suis cammioneuse. À cinq heures tout-à-l'heure, j'étais à Rungis pour livrer une cargaison d'encombrants.

 

Le riverain:

Vous travaillez pour les encombrants, et on vous oblige à aller jusqu'à Rungis. Y'a plus d'jeunesse!

 

La routière:

Tout à fait d'accord, mais mi j'min fous. Justement, je travaille pour la T.R.U., et là dans ma benne, j'ai toute une cargaison d'copeaux d'bois.

 

Le riverain:

Qu'est-ce-que j'en ai à faire de vos copeaux de bois? Moi je dormais, et vous, vous me réveillez en me demandant de bouger ma B.X.

 

La routière:

Bougez là, non d'un clebs!

 

Le riverain:

Mais puisque j'vous dis que je n'ai pas de voiture. Cette B.X., je ne sais pas à qui elle est. Sûrement pas à moi en tout cas!

 

La routière:

N'empêche que j'vous conseille de la déplacer dare dare, vot'B.X., parce que tu vois, toutes les voitures sont garées du côté pair, et la tienne, elle est là, du côté impair... Et moi, j'peux pas passer avec mon camion.

 

Le riverain:

C'est pas ma voiture, je ne sais pas moi, vous ne pouvez pas demander à côté?

 

La routière:

Ça n'répond pas, et vous m'avez dis qu'c'était une vieille impotente, et sourde en plus.

 

Le riverain:

Je ne sais pas, essayez plus loin!

 

La routière:

Non mais, qu'est-ce que tu crois? J'ai essayé, et d'ailleurs y a quelqu'un qui m'a répondu, mais il avait une voiture sans permis, garée en épis, devant la porte de sa chambre. Il avait pas l'permis le bougre! Mais toi t'as bien ton permis?

 

Le riverain:

Ben oui...

 

La routière:

Alors viens vite déplacer ta B.X.!

 

Le riverain:

Puisque je vous dis que je n'ai pas de B.X.! Ce n'est pas parce que j'ai un permis de série B, que j'ai un voiture,... D'ailleurs j'ai deux pieds.

 

La routière:

Eh alors?

 

Le riverain:

Eh bien, ça veut dire que je me déplace à pieds. Est-ce-que je vous demande si votre permis poids lourd est en règle?

 

La routière:

Poids lourd, poids lourd, non mais, j'suis quand même pas un poids lourd, regarde-moi, j'suis quand même bien roulée...

 

Le riverain:

Je vous parle de votre permis...

 

La routière:

Bien-sûr que j'ai mon permis pour conduire ce putain d'camion! J'ai fait l'école des routiers. J'étais même la seule fille de ma promo... Ah! C'était le bon temps... Le bizuthage, c'était quelque chose!... Ils m'ont expédiée toute seule sur l'autoroute alors que je n'savais pas encore conduire... Et puis un bizuthage de routier, c'est quelque chose. Ah! C'est quelqu'un! Le seul ennui - et on nous le répête souvent -, c'est que nous autres, les routières, on est un p'tit peu matchotes! Moi, quand j'vois des beaux mecs, j'les reluque à max, j'les klaxonne, ils deviennent tout rouge... Avec les jeunes collègues, c'est pareil. Y'en a un, en particulier, j'aime bien l'taquiner, c'est normal, eh! Il s'appelle René! Ah René alors!... Bon, je parle, je parle - dit Laverdure -, c'est tout ce que j'sais faire! Bon allez, assez rigolé! Maintenant tu vas la bouger ta B.X., parce que sinon, ça va être ta fête!

 

 

 

SCENE II

 

 

            Quelques minutes ont passé...

 

Le riverain:

Eh bien alors, c'est pas bientôt fini ce rafut! Qu'est-ce-que vous avez à la fin?

 

La routière:

Eh bien, c'est simple, comme t'as pas voulu déplacer ta B.X., j'ai essayé de passer avec mon camion entre la file de voitures à l'arrêt et ta B.X. ...

 

Le riverain:

J'ai pas de B.X.

 

La routière:

Et malheureusement j'ai défoncé l'aile de ta bagnole. C'est pas moi d'ailleurs, c'est mon camion, ou plutôt, la roue avant, plus exactement... Elle fait tout de même trois mètres de diamètre! Ça, c'était en avançant... Quand j'ai compris que j'passerais pas, j'ai reculé, alors là, j'ai écrasé un peu la carrosserie du véhicule,...

 

Le riverain:

Dame! Y'a plus de B.X., y'a plus qu'une plaque, là où elle était garée...

 

La routière:

C'est bien ce que j'disais, j'ai un peu roulé dessus.

 

Le riverain:

Dîtes donc! C'est un vrai rouleau compresseur votre engin!

 

La routière:

Un simple camion benne de la T.R.U., modestement, rien de plus, voyons! Le problème, c'est pas ça. C'est après qu'ça s'est corsé. J'me suis ennervée du matin...

 

Le riverain:

C'est-à-dire?

 

La routière:

Ben après, j'ai balancé tout mon chargement de bois au milieu del rue.

 

Le riverain:

Ah ben merde alors! Ça va être pratique pour circuler rue de Marseille, avec cet énorme tâs de copeaux de bois qui bouche complêtement le passage!

 

            Il marque un temps d'arrêt. Soudain, il trouve quelque chose, une idée...

 

Le riverain:

Ah ça y est, je me souviens.

 

La routière:

Quoi donc?

 

Le riverain:

La voiture, je sais à qui elle est... La vieille impotente d'à côté... La semaine dernière, sa fille a été boire l'apéro, comme tous les Dimanches, au marché de Wazemmes. Elle a bien dû prendre ses huit Pastis. En rentrant, elle en a renversé dans sa voiture pendant qu'elle conduisait. Automatiquement, elle a été arrêtée...

 

La routière:

Par les flics?

 

Le riverain:

Ben non! Par un poteau. Un poteau, pas un petit pote, un poteau, dans le genre signalisation, vous voyez?

 

La routière:

Ouais ouais...

 

Le riverain:

La vieille d'à côté, sa mère, comme elle est sympa, elle lui a racheté une voiture... Elle est sacrément arrangée, sa B.X.!

 

La routière:

Ouais. Au fait, pendant que j'y pense, ça ne te dirais pas de m'acheter un calendrier de la T.R.U.? Y'en a des beaux!

 

Le riverain:

Faudrait peut-être pas abuser quand même!