ET SI C'ETAIT VRAI?

Le choix temporel

 

une pièce de Patrice Salzenstein

 

Tout ce que vous avez toujours cru sur vos rêves d'enfance

sans jamais les réaliser

ou les tribulations d'une femme dans un univers parallèle

 

 


avec

Isabelle Cauwet                                                      Elise

Ayrton Benard                                                  le Bossu

Patrice Salzenstein                                                  Jean

Eric Lheurette                                               Dominique

 

 

 

 

 

 

Première de la pièce le 18 novembre 1994

à la Grange de la ferme Dupire à Villeneuve d'Ascq


 

 


ACTE I

 

SCENE I

 

 

            Elise, une jeune femme sexy, apparaît sur scène. Dominique lui prodigue des conseils, des ordres...

 

 

Dominique: (éventuellement, une voix qui n'apparaît pas sur scène)

 

            Mais non, vous voyez bien que ça ne peut pas aller! Il faudrait sans doute quelque chose de plus ample. Tout cela ne s'accorde pas ensemble. C'est criant. Ça frappe les yeux. Faites quelques pas... oui, comme ça. Arrêtez! Là ça ne va pas du tout. Il faut avoir plus de prestance. Laissez vous aller dans votre rôle Ne jouez pas la mijaurée! Ben voilà, ça va mieux. Ne soyez pas timide! Décontractez-vous! Marchez comme si de rien n'était! Faites donc quelques pas...

 

            Il approche une chaise qu'Elise heurte avant d'avoir aperçu.

 

            Attention, voyons! Ne filez pas vos bas. Pour cela, ne heurtez rien! C'est pourtant simple. Ne pensez à rien, ne soyez surtout pas naturelle, je veux dire, soyez artificiellement naturelle. Ce n'est tout de même pas au vieux singe qu'on apprend à faire la grimace. Vous savez tout ça! A vous parler comme ça, je vais finir par radoter. Vous savez, je le sais, vous savez vous mouler parfaitement dans vos vêtements! Ce n'est tout de même pas plus difficile de mettre ses jambes à l'air que de savoir se maquiller correctement!

            Allons, mais qu'est-ce-que vous avez aujourd'hui? Quelque chose ne va pas?

            J'ai l'impression que je vous barbe... Ça vous embête tout ce que je vous dis? C'est si méchant?

            Vous ne dites rien pourtant!

            Vous ne me facilitez pas le travail...

            Il n'y a que moi qui parle...

            Si le moment est venu pour que je me taise, dites! Ne vous en privez pas!

            Vous voulez que je parte?

            Vous voulez peut-être rester seule?

 

 

Elise:

 

            Laissez-moi tranquille!

 

            Dominique la laisse seule.

 

 

SCENE II

 

 

Elise: (seule)

 

            Rendez-moi donc ma liberté! J'ai eu, pendant longtemps, le sourire inutile de la femme imbécile qui est emprisonnée. Oublier, je dois tout oublier... Oublier de partir et de fuir. Oublier de travailler, quand il ne faut que survivre... Je dois jeter le voile et cracher dans le bénitier. Je veux réaliser les rêves que j'avais lorsque je n'étais qu'une toute petite fille...

            Trapéziste... Je me souviens, je voulais être trapéziste. J'aurais attaché deux cordes dans le ciel. Et je serais montée sur les nuages à l'aide d'une longue échelle. Ensuite, j'aurais skié en freinant sur l'écume des plus bas nuages. Je me serais doucement laissée tombée avec la pluie fine sur les toits. Les chats m'auraient montré le chemin nocturne qui mène à la fenêtre de ma chambre. Je me serais glissée bien au chaud sous la couette, et je me serais endormie dans un songe d'amour...

            Lorsque j'aurais ouvert les yeux, le monde n'aurait plus été le même. Ç'aurait été un détail saugrenu, quelque chose que je n'aurais pas remarqué tout de suite. Un petit quelque chose, un rien, qui ne peut retenir l'attention que des rêveurs et des enfants - parce que les enfants rêvent toujours.

            La couleur peut-être. La ligne de l'horizon, bien définie comme à l'ordinaire, aurait délimité un ciel parfaitement rose, teinté de nuages violets, et la forêt aurait revêtu le bleu transparent des cristaux. Un Soleil énorme, et non loin de là, une planète gigantesque à demie cachée par le relief des montagnes fractales.

            Et moi, j'aurais regardé tout cela comme un artifice, avec admiration et respect.

 

            Silence.

 

            Il y a toujours en moi cette petite fille qui trouvait que le monde qui l'entourait était merveilleux. Il y avait le feu qui crépitait sur la terre féconde, qui produisait une fumée épaisse et noire, qui montait dans la nuit, vers les étoiles.

            Ces milliers d'étoiles qui scintillaient sous la voûte céleste, je savais qu'elles masquaient des corps sombres sur lesquels prospéraient des civilisations éclairées. Il y avait là-haut, quelque chose qui ressemble à un cœur qui bat et qui palpite. Je m'imaginais l'amour qui unissait les Êtres. Je songeais à la beauté des paysages inaccessibles et extraordinaires. J'essayais d'imaginer la grandeur des sentiments qui devait faire vibrer les créatures de l'univers.

            C'était alors la porte ouverte aux rêves les plus fous. Et je savais que la réalité devait être encore plus belle, et dépassait l'entendement.

            J'étais comme une toute petite fleur au milieu des étoiles, et je songeais soudain que la planète qui m'avait donné la vie était, elle aussi, magnifique. La rivière coulait son lit aux reflets magiques en contrebas des pâtures; les lumières rouges d'un avion flirtaient avec la Lune, et disparaissaient dans la noirceur des nuages. La nature s'exprimait au plus fort d'une nuit d'été. Et c'était bien moi cette petite fille, qui s'émerveillait d'être heureuse. Et c'était bien moi. Cette petite fille. Qui s'émerveillait. D'être heureuse.

            J'ai grandi depuis.

            Les années et les grandes personnes ont essayé de me faire oublier mes rêves. On m'a dit: "Ne rêve plus! Tu dois tout sacrifier au paraître, il faut être réaliste, on ne peut pas toujours décrocher la Lune". J'ai résisté. Et puis j'ai fini par faire semblant. Je me croyais autonome. Je pensais que je leur jouais un tour.

            Un jour, je me suis aperçue que je n'étais plus maître de moi-même. Je m'étais empêtrée dans le réalisme des têtes baissées. J'avais perdu ma bataille et rangé mes rêves au placard de l'enfance.

 

 

 

SCENE III

 

 

            Un homme apparaît sur la scène. Il porte des grosses lunettes, du type de celles que porte les chimistes; il est vêtu d'une blouse blanche. C'est le bossu.

 

Le Bossu:

 

            Jeune femme! Il ne faut désespérer de rien.

 

Elise:

 

            Bonjour. D'où sortez-vous? Comment êtes-vous entré?

 

Le Bossu:

 

            Tout cela n'a aucune espèce d'importance. De rien, peut toujours naître quelque chose. Il existe toujours une probabilité. Ainsi agit la structure des univers multiples.

            L'explication que je pourrais vous faire, est de toute manière assez complexe.

 

Elise:

 

            De quoi parlez-vous?

 

Le Bossu:

 

            A l'époque à laquelle vous vivez, celle où l'espèce humaine, devenue maître d'elle même, est capable de partir à la conquête de nouvelles planètes, vous ne devez sans doute pas ignorer certains aspects de la physique, même s'ils ne seront de toute façon qu'imparfaits...

 

Elise:

 

            Sans être à proprement parler "scientifique", j'ai quelques bases théoriques. Mais qu'essayez-vous de me dire?

 

Le Bossu:

 

            Vous n'êtes pas sans ignorer qu'un neutron se désintègre en un proton, un électron et un antineutrino, après une période, qui est généralement d'une vingtaine de minutes... Parfois, cela intervient immédiatement, alors qu'il faut quelquefois attendre beaucoup plus longtemps...

 

Elise:

 

            Je comprends. Mais... Vous avez rendez-vous avec quelqu'un peut-être?

 

Le Bossu:

 

            Vous allez comprendre tou-à-l'heure.

            Cette incertitude temporelle réside en fait dans la nature quantique des phénomènes.

            Pour adapter la mécanique quantique à la réalité physique, le physicien Hugh Everett a proposé en 1957 la théorie des univers multiples. Ainsi, si quelque chose peut se produire, il se produira effectivement dans un univers. Il y a une infinité d'univers parallèles, différents de façon continue.

            Pour chaque instant où un neutron est susceptible de se désintégrer, il existe un univers donné contenant cet événement.

 

Elise:

 

            Je ne vous suis pas très bien...

 

Le Bossu:

 

            Essayez de comprendre! C'est à la portée de tout le monde! Il s'agit de mieux comprendre la réalité, en proposant un modèle plus complexe qui soit à la fois compatible avec le principe d'autonomie et auto cohérence.

            Il s'agit de comprendre pourquoi l'espace-temps, uniforme à l'échelle macroscopique, a une structure submicroscopique permettant des boucles temporelles remontant jusqu'à 10-42 secondes dans le passé!

 

Elise:

 

            ... des boucles temporelles...

 

Le Bossu:

 

            La réversibilité temporelle, un retour dans le passé proche du domaine submicroscopique, c'est si vous voulez, comme une stagnation dans le présent au-delà du simple instant. Dans le jargon, c'est la rémanence.

            Elle est induite par les théories sur la gravitation. En mots simples, comment vous dire ce qu'est une boucle temporelle?... Hum... Vous avez déjà entendu parler du cône de l'espace temps?

 

Elise:

 

            Si c'est le cas, ce doit être de très loin!

 

Le Bossu:

 

            A chaque instant, pour un lieu donné, nous avons une position définie dans l'espace temps à quatre dimensions. Notre mouvement dans cet espace est limité par la vitesse de la lumière, ce qui fait que notre trajectoire future dans l'espace-temps appartient à l'intérieur d'un cône, et ce, à chaque instant.

            Les trajectoires des objets physiques se courbent avec l'univers le long des corps massifs comme les trous noirs, par exemple.

            La gravité n'est que l'expression de cela. La Terre se déplace ainsi en spirale autour du Soleil, et le Soleil en fait de même dans la Voie Lactée...

            Si l'espace temps est très déformé, on peut imaginer que les lignes d'univers puissent former des boucles fermées. Localement les propriétés de l'espace-temps restent respectées tout le long d'une boucle temporelle. En se déplaçant le long de la boucle, il est possible de revenir dans le passé. En parcourant toute la boucle, un voyageur du temps retomberait sur son double!

            Tout cela est tout-à-fait compatible  avec le principe d'autonomie. Les lois de la physique sont respectées localement.

            Cependant la cohérence n'est pas respectée. Il est hautement improbable de se retrouver soi-même ou de modifier le passé car cela aurait des conséquences tragiques sur soi-même!

            Généralement, l'autonomie qui nous est conférée n'entre pas en porte-à-faux avec la cohérence du système physique. Mais dans le cas de la boucle temporelle, il y a une incompatibilité. Vous suivez?

 

Elise:

 

            Ben, de loin, un peu, oui!

 

Le bossu:

 

            Il faut revenir aux univers parallèles. Imaginez que deux univers soient comme des plans parallèles. Une déchirure dans l'un, permet de suivre une trajectoire qui vous amène dans un autre qui ressemble au premier pris dans un instant passé.

            Si vous désiriez revenir dans le passé, pour prodiguer des conseils à vous-même, plus jeune, vous quitteriez définitivement cet univers. Vous pourriez réapparaître dans un univers parallèle au moment passé où vous rencontreriez votre double, jeune. Ainsi, la réalité de notre univers ne serait pas modifiée.

 

Elise:

 

            Mais que me proposez-vous là? Vous voulez me faire disparaître! En auriez-vous le pouvoir? Seriez-vous... le diable?

 

Le bossu:

 

            Vous ne m'avez pas compris. Sauf si cela vous plaît de voir en moi un personnage fantastique, je ne suis pas le diable.

 

Elise:

 

            Auriez-vous quelque pouvoir magique, alors?

 

Le bossu:

 

            Hum! Hum! Au royaume des ignorants, les bossus sont des rois! Vous me faîtes sourire... Je ne suis qu'un bossu. On dit que ma bosse porte chance à ceux qui comptent sur moi!

 

Elise:

 

            C'est-à-dire?

 

Le bossu:

 

            Comptez! Comptez-donc! Sur ma bosse...

 

            Elise s'exécute après hésitation et compte avec ses doigts sur la bosse du bossu...

 

 

Le bossu:

 

            Vous aurez donc de la chance! Souvenez-vous! Il suffit d'y croire! Si vous pensez qu'un retour dans le passé est impossible, même avec l'explication que je vous ai donnée sur les univers parallèles, donnez-moi-donc un argument physique ou philosophique qui le justifie! Ah! Ah!

 

Elise:

 

            Ne partez pas déjà!

 

Le bossu:

 

            Qu'y a-t-il? Avez-vous besoin de quelque chose?

 

Elise:

 

            J'ai peut-être beaucoup de questions à vous poser.

 

Le bossu:

 

            Je dois partir... N'oubliez pas, la théorie des univers parallèles respecte les principes d'autonomie et d'auto cohérence. N'hésitez pas à vous engouffrer dans la brèche!


ACTE II

 

SCENE I

 

 

            Quelqu'un, seul sur la scène.

 

Jean:

 

            Lorsque le Soleil se lève, chaque matin, c'est pour moi toujours comme l'aube d'une nouvelle vie. Les choses sont un peu plus différentes que la veille.

            La nuit est toujours l'occasion d'une plongée dans la vérité la plus essentielle des Êtres.

            Rien n'est plus faut que le paraître. Le jour nous éclaire et nous fait oublier que l'immensité de l'univers ne voit briller que de rares étoiles.

            La nuit galactique est plus froide que la mort. La nuit est chaque fois un bouleversement sans précédent entre des journées apparemment stagnantes.

            A l'aurore du soir, pour qui veut bien s'en donner la peine, pour le mouton que je suis, et que je précède, comme pour vous, la première étoile qui m'éclaire est celle du Berger. Vénus est offerte à tous ceux qui lèvent la tête au cœur de l'été. Pas besoin de décrocher la Lune pour trouver l'amour!

            La nuit bouleverse toujours celui qui rêve, parce qu'elle sait le toucher, et parce qu'en nous effleurant de se caresses, elle nous réchauffe et nous rassure.

 

 

 

SCENE II

 

 

Le bossu:(seul)

 

            Elise est une jeune personne très sympathique. Je ne regrette pas d'être venu ici. Ainsi, je vais pouvoir lui rendre service. J'ai soigneusement préparé le bolide avec lequel je suis venu. J'ai vérifié les coordonnées d'arrivée, et ajusté les paramètres de déplacement sensoriels de façon à les rendre supportables par son organisme.

            J'ai passé beaucoup de temps à disposer des balises dans les univers proches, pour pouvoir être informé de la réussite de l'opération. En effet, il est fort probable qu'elle ne reparaisse plus dans cet univers.

            En cas de réussite, j'aurai donc démontré la véracité de mon plan de sauvetage. Si la démultiplication de la jeune femme dans les univers proches est réalisée, cela montrera que la méthode peut être appliquée à grande échelle pour la sauvegarde de l'humanité.

            Il sera donc possible de transférer les êtres humains en grand nombre, en créant pour eux, autant d'univers qu'il le faudra.

            L'humanité sera préservée à jamais de toute destruction! Même si des civilisations venaient à disparaître dans quelque univers, il y aura toujours suffisamment d'univers parallèles pour transmettre l'essence humaine!

 

 

 

SCENE III

 

 

Le bossu et Elise

 

Le bossu:

 

            Mademoiselle, vous avez bien compris ce que je vous propose? C'est quelque chose d'extraordinaire; vous allez être une pionnière pour faire quelque chose de grandiose... Ne me remerciez pas! Je vous ai choisi par hasard. Mais vous n'avez rien à craindre, le bolide temporel est ajusté à votre organisme...

            Vous n'aurez qu'à suivre les instructions qui vous seront données. A chaque fois, vous aurez l'impression de sortir d'un rêve, et la réalité sera apparemment la même, mais vous serez dans un autre univers. Votre être sera démultiplié à l'infini sur une large bande d'univers parallèles. Il vous sera impossible de vous rendre compte de cela. Par contre, vous ne reviendrez sûrement jamais dans l'univers de départ du bolide, à cause de la cohérence physique...

            Vous comprenez?

 

Elise:

 

            Oui, oui...

            Et à elle même:

            Enfin, je pense.

 

 

 

SCENE IV

 

Elise, seule.

 

Elise:

 

            Ce qu'il me propose est tout-à-fait incompréhensible. Il voudrait que je quitte l'univers dans lequel je vis pour autre chose. Il m'a parlé d'univers parallèle... Si je l'écoutais, je monterais dans une machine à explorer le temps.

            C'est- un fou, un illuminé! Tout ce qu'il a dit n'est qu'un énorme mensonge. Il ne faudrait pas qu'il s'imagine... Oui, il ne faudrait pas qu'il s'imagine que je vais croire une seule seconde ce qu'il m'a raconté.

            Non, sérieusement, il y a bien de quoi rester incrédule devant de tels propos!

            Mais, y-a-t-il seulement la moindre chance pour que tout ça soit bel et bien vrai? C'est impossible. Ce serait trop extraordinaire!

            Il ne m'est jamais vraiment arrivé rien de bien dans ce bas monde. J'aurais aimé avoir la liberté de choisir ma vie... Mais j'ai plus été là où on m'a dit d'aller. J'ai écouté ce qu'on m'a dit d'écouter. J'ai fini par travailler dans le milieu de la mode, par ennui...

            C'est par ennui aussi que j'ai envie de le suivre, j'aurais presque envie de faire ce qu'il me dit de faire.

            C'est vrai, il se pointe là, en blouse blanche, les cheveux en pétard. On a envie de regarder derrière lui si Frankenstein ne suit pas...

            C'est trop drôle, l'idée de monter dans sa machine, c'est comme si je devais aller à ma première boom...

            Décidément, tout cela est fantastique, il faut que j'y réfléchisse!

 

 

 

SCENE V

 

            Le bossu, seul. Il déambule un instant dans la pièce. Puis, soupire, et s'assoit sur une chaise. Il attend.

 

Le bossu:

 

            Un jour, je me reposais sous les tilleuls, quand j'entendis de l'agitation chez les voisins...

            Ils avaient reçu une lettre cachetée à leur nom et adresse. Cependant, elle émanait d'une personne qu'ils ne connaissaient pas, parlait de personnes qu'ils n'avaient pas connues, et faisaient référence à des situations communes qu'ils n'avaient jamais vécues.

            C'était une erreur, une sorte d'anachronisme familial.

 

 

 

SCENE VI

 

 

Elise:(seule)

 

            Ah! Je ne sais plus quoi décider!

            Plus je réfléchis à sa proposition, moins je me sens capable de prendre une décision... Ce qu'il m'offre, c'est une distraction momentanée.

            Bien-sûr, ce quelque chose que je me refuse à croire, me rendrait peut-être heureuse. Si c'était vrai!

            Si c'était vrai. Oui. Et alors? Quest-ce-que- cela va m'apporter de plus? Je vais débarquer dans un autre univers parallèle. Qu'est-ce-qu'il y aura de changé? Tenez, par exemple, qu'est-ce-qu'il se serait passé si les nazis avaient gagné à Stalingrad et repoussé les américains sur les plages de Normandie? Tout aurait été différent. Et moi, je ne veux pas débarquer dans une réalité où l'avenue du Général De Gaulle s'appelle Boulevard du Maréchal Pétain! En tant que femme, je n'aurais peut-être même pas le droit d'être libre et de travailler.

            Et si Giscard avait gagné en 81? Et si Rominger avait gagné le tour de France? Et si B.H.L. avait été intelligent? Bouh! Ça fait froid dans le dos de ne pas savoir où l'on va tomber.

            Oh, bien entendu, je le vois déjà venir, le bossu. Il va me dire que je n'ai pas tellement l'esprit aventurier. Il va se moquer gentiment de moi. Il va me prendre par les grands sentiments pour essayer de me convaincre.

            Eh bien, il peut bien dire ce qu'il veut, je n'en tiendrai pas compte! Il ne me connaît pas et me sous estime. Je ne suis pas le genre de personne que l'on manipule allègrement.

            Je prendrais ma décision toute seule.


ACTE III

 

 

SCENE I

 

Jean:(seul)

 

            On entend dire parfois que c'est dommage de ne pas avoir été jeune dans une période du passé où il y avait plus d'espoir ambiant; les années soixante, par exemple.

            Alors que c'est faux.

            D'une part, chaque époque a son charme, mais j'aurais tendance à ajouter que c'est encore plus exaltant de se dire que, parmi les plus jeunes, ce sont les enfants de maintenant qui verront notre avenir et ce qui s'en suivra. Ils sauront peut-être ce qu'il y aura dans un siècle. Ils iront témoigner de notre présent auprès des générations futures,... Non pas par l'intermédiare d'une quelconque machine, ils n'en auront pas besoin. Ils iront à leur allure, comme nous nous engouffrons tous dans nos lendemains.

            Ils bénéficieront de notre expérience et de nos échecs, et même si pour la plupart ils ne sont pas encore nés, ils auront pour le monde des rêves encore plus grands que les nôtres. (Ce que je dis, ça fait un peu générique d'un grand film de Hollywood!)

            Quand les grandes personnes n'ont plus d'espoir, elles ne comprennent pas pourquoi les plus petits continuent à jouer et à sourire.

            C'est parce qu'ils sont tournés vers l'avenir.

 

 

 

SCENE II

 

Elise s'est rapprochée.

 

Elise:

 

            Continuez! Continuez, je vous écoute!

 

Jean:

 

            Pardon?

 

            Ils se dévisagent un instant avec étonnement.

 

Elise:

 

            Vous ne feriez pas, par hasard, du business avec les machines temporelles, vous aussi?

 

Jean:

 

            Pardon? De quoi parlez-vous?

 

Elise:

 

            Non, parce qu'un bossu m'a proposé de quitter cet univers pour un ailleurs hypothétique...

 

 

 

SCENE III

 

 

Le bossu, Jean, Elise.

 

Le bossu:

 

            Eh! Qu'est-ce-que vous avez à sourire comme ça, comme deux ronds de flan? On dirait des amoureux!

            Il regarde sa montre, son poignet.

            Merde! On m'a volé ma montre! On m'a volé ma montre! Il n'y a pas de temps à perdre.

            S'adressant à Elise:

            Allez! Viens avec moi, je vais te conduire à la machine...

 

Elise:(montrant Jean)

 

            Et lui, il peut venir?

 

Le bossu:

 

            Oh non! Vous m'agacez à la fin.

            Il n'y a de place que pour une personne, c'est un prototype que j'ai construit rapidement

 

Elise:

 

            Quoi! "Construit rapidement"? Je tiens à me rematérialiser correctement.

            Je n'irais pas dans votre machine!

 

Le bossu:

 

            Non! Oh, non!

 

Elise:

 

            Je n'ai plus envie de monter dans votre machine où il n'y a qu'une place.

 

Le bossu:

 

            A part: Les filles,... Toutes les mêmes!

            A Elise: Allez! Par pitié, venez!

 

            Elise ne répond même pas et s'adresse de nouveau à Jean.

 

Elise:

 

            Et toi, si tu ne construis pas des machines à saut temporel, qu'est-ce-que tu fais dans la vie, alors?

            Il ne répond pas.

            Bon. Qu'est-ce-qu'on pourrait faire?

            Ah! (Eurêka!) Au diable toutes les contraintes! Je reste dans cet univers. Tu vas venir avec moi. On va aller en Afrique du Sud. C'est Nelson Mandela le président...

            Et on peut y voir l'étoile du sud...